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Aujourd'hui, ils ont entre 20 et 30 ans. Encore bambins sous Mitterrand, gamins sous Chirac, ces jeunes se cherchent un idéal incarné par les présidents de la cinquième République. De De Gaulle à Chirac, vivants ou morts depuis bien longtemps, tous retirés de la politique, ils suscitent l’admiration, jusqu’à devenir les icônes d’un temps perdu.

En 2002, j’avais 10 ans. Pendant l’entre-deux-tours des élections présidentielles, avec mes sœurs, on avait un jeu de fléchettes qu’on utilisait sur l’affiche de campagne de Jean-Marie Le Pen : c’était cinquante points pour celui qui visait les narines ! ” Attablé à la terrasse d'un petit café en face de l’Ecole Militaire de Paris, Julien sourit en repensant à ses premiers moments d’éveil en politique. Petit-fils d’un gaulliste pur et dur, fils d’un père à tendance socialiste, et frère de deux mélenchonnistes, Julien baigne depuis toujours dans un milieu politisé. Ses premières idées politiques, il les balbutie très jeune, écoute attentivement les débats pendant les déjeuners de famille et se laisse bercer par les émissions télévisées. Passé par de nombreuses sensibilités politiques lui-même, il n’a malgré tout jamais arrêté d’admirer le président de son enfance, Jacques Chirac (1995-2007). “Je me suis rendu compte de mon immersion politique lorsque, pour la première fois, je me suis mis à parler comme Jacques Chirac.” Julien a 13 ans quand il fait sa première imitation devant sa mère. Ecoutez :


 

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Pour une lecture nostalgique en musique

Matteo a les même souvenirs attendris de son enfance. Issu d’une famille de commerçants de droite, le jeune homme de 22 ans voue une admiration sans borne au Général de Gaulle, premier président de la Vème République. “Depuis que je suis tout petit, j’adore écouter les anciens de ma famille me raconter la guerre. J’ai toujours été bercé par les histoires de ma grand-mère qui distribuait de la nourriture aux résistants dans le maquis.” Avant de s'intéresser au président, Matteo s'est d'abord attaché à l'homme de guerre. “J’ai transposé mon affect pour ces petites histoires sur le personnage,” explique-t-il, songeur. 


 

Une telle admiration ne touche pas uniformément la jeunesse française. Âgés d’une vingtaine d’années, ceux qui regrettent ces briscards de la politique connaissent souvent sur le bout des doigts l’histoire de leur pays. Emmanuelle a 22 ans. Étudiante à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, la jeune fille est facilement repérable: “Blonde, de droite, étudiante à Sciences Po, je sais que je suis un vrai cliché, alors en plus, quand je porte mon tee-shirt Chirac ...," lance-t-elle. Tout comme Julien, Emmanuelle vient d’une famille où la culture politique prend beaucoup de place dans l’éducation. Élevée devant Les Guignols de l’info et les discours de Jacques Chirac, elle le porte sur un piédestal depuis toujours. “Pour moi, c’était un leader d’opinion, un personnage charismatique qui s’exprimait bien. C’était le dernier homme politique à proprement parler.” Pour Emmanuelle, il est le dernier président à avoir eu la culture, le charisme et le verbe attendu pour un homme d'Etat. Elle n’est pas du genre à caresser dans le sens du poils les politiques d'aujourd'hui.


 

 Engagée chez les Républicains depuis ses 19 ans, elle s'indigne des  derniers évènements qui ont secoué la droite : “Les disputes internes, le scandale Morano, l’inaction de Nicolas Sarkozy … Tout ça fait que je ne vais sûrement pas reprendre ma carte au parti, soupire-t-elle. Nous, on cherche un idéal comme au temps du RPR quand Jacques Chirac tenait les rênes.”

 François est bien loin des idées politiques d’Emmanuelle. Le jeune homme vote à gauche depuis sa majorité. Et pourtant. Dans son placard, il a bien un ou deux tee-shirts à l’effigie de Jacques Chirac.  François préfère en rire: “C’est vrai qu’il y a une incohérence, mais si je les porte c’est plus pour la dérision et le symbole qu’il y a derrière.” Très critique des années Chirac, François le considère cependant comme le souvenir de toute une époque révolue. “Il y a une sorte de fascination mystique et morbide pour ces années-là. C’était une époque où la politique était sérieuse et respectée.  Il y avait un gros taux d'engagement dans les partis, les gens croyaient en l'avenir," regrette-t-il. Pour Joseph Daniel, expert en communication politique et auteur du livre La Parole présidentielle aux éditions du Seuil, il y a là derrière ce qu'il appelle la psycho politique: 


 

De Gaulle, Pompidou, Giscard d'Estaing, Mitterrand, Chirac ... En 2015, tous ces ex présidents ont droit à leur part de popularité mais ils ne sont pas regrettés ni de la même manière, ni dans les mêmes proportions et ni pour les mêmes raisons. Jacques Chirac est le personnage le moins clivant: tous admirent l’homme du peuple, proche des gens. “C’était un bon franchouillard qui aimait boire et manger, explique Julien, une pinte dans une main, une cigarette dans l’autre. Jacques Chirac, c’est aussi un art de vivre à la française qu’on voudrait retrouver.” Aujourd’hui, s’afficher avec un tee-shirt Jacques Chirac, ou partager sur les réseaux sociaux des photos de l’ancien président est devenu quelque chose de totalement banal, trop banal pour François. “Il y a quelques années, porter un tee-shirt Jacques Chirac, c’était hype. Aujourd’hui, il est trop populaire, il faut trouver quelque chose de plus original.”   François constate que Charles Pasqua, ancien ministre de l'Intérieur (1993-1995) décédé en juin dernier, devient lui aussi populaire, mais pas autant que les anciens présidents. Mitterrand comme Chirac, De Gaulle comme Pompidou, tous ont leurs qualités et leurs défauts qui les rendent plus ou moins populaires aujourd'hui: 


 

Stéphanie n’a aucun problème à se balader avec son "sac Giscard". Sur le tissu, une archive de l’INA : le fameux “Au revoir” de Valéry Giscard d’Estaing, adressé aux Français suite à la victoire de François Mitterrand en 1981. A 28 ans, la jeune entrepreneuse est un peu tombée par hasard sur cet accessoire en surfant sur le net. Fan de tout ce qui est kitsch et vintage, elle l'a commandé sans hésiter. “C’est tellement kitsch qu’on voit tout de suite que je n’affiche aucun message politique,” explique-t-elle. Stéphanie se rend bien compte que seuls les jeunes de sa génération peuvent réellement comprendre cette mode. “Une fois, en faisant mes courses, une vieille dame s’est approchée de moi en me disant: ‘Vous savez, j’ai voté pour lui, c’est beau que les jeunes continuent de l’admirer.’ Évidemment, j’étais un peu gênée.”




  “C'est l’idée que c’était mieux avant, que les hommes politiques avaient plus de choses à nous dire,

   qu’il étaient plus classes et aussi peut-être plus marrants, ce qui est accentué par le rejet de la

   classe politique aujourd’hui.”

En 2015, qu’on ait 22, 25 ou 28 ans, on sait ne pas prendre la politique au sérieux. “Je suis frappé par le contexte humoristique, explique Joseph Daniel. Quand on voit sur la page Facebook dédiée au retour De Gaulle en 2017, un statut qui dit ‘Je suis la solution en 2017’, ça veut dire qu’il n’y a tout simplement pas de solution. La dérision, c’est un esprit caractéristique de cette génération.”


Et ça, les entreprises textiles et créateurs de mode l’ont bien compris. Certains ont commencé à commercialiser tee-shirts et accessoires à l’effigie de Jacques Chirac et De Gaulle dès 2010. Les tumblr, pages Facebook et comptes Twitter ont ensuite suivi pour alimenter le phénomène.  Le succès s'est rapidement fait sentir, la demande a été énorme. Giscard, Pompidou et Mitterrand ont aussi progressivement fait leur apparition, mais dans une moindre mesure. En 2011, Aubert, Oscar et Paul, ont lancé leur marque de vêtements, quelque chose d’unique et qui leur ressemble. La petite bande d'amis créé quatrecentquinze, l’une des premières entreprises qui impriment des visages de politiques sur des tee-shirts. Leur audace et leur inventivité sont récompensées: les ventes décollent lorsqu'ils mêlent le titre Thug life du rappeur 2Pac à une photo de Jacques Chirac, ou lorsqu'ils fusionnent un cliché de De Gaulle avec la chanson phare de la chanteuse Carly Rae Jepson Call my maybe.“Ce décalage entre une figure politique et une punchline d'aujourd'hui, c’est notre culture, ça nous ressemblait totalement, on savait que c’était très efficace,” explique Aubert. Même constat pour Antoine Delomez, gérant de la marque F.A.U.X de l'atelier Amelot  qui surfe sur la même mode. Le directeur de l'atelier explique que cet engoûment est le résultat d'un mystification de la réalité :



Chez quatrecentquinze, le succès a été tel que Chirac et De Gaulle s’exportent maintenant même à l’étranger :  c’est surtout au Moyen-Orient, en Asie et notamment au Japon, que la demande se fait sentir. Mais Aubert l’assure, les références aux présidents français ne sont très souvent pas bien comprises. “On a vendu des tee-shirts De Gaulle au Liban. Notre client a voulu le mettre en avant sur le compte Instagram de sa boutique avec le hashtag ‘Hitler’, ” s’étonne encore le jeune homme de 24 ans.



Dans dix, vingt, trente ans, ce seront peut-être des tee-shirts de Nicolas Sarkozy et François Hollande qui seront en rupture de stock sur les sites de vente. Emmanuelle a du mal à croire : "Ceux que je verrais bien sur les tee-shirts, ce sont des hommes charismatiques aux carrières prometteuses, comme Emmanuel Macron." Aussi élégant que Giscard, séducteur comme Chirac, Macron a toutes ses chances.



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" Nous, on cherche un idéal comme au temps du RPR, quand  Jacques Chirac tenait les rênes."

Le salon de François ressemble un peu à la boutique d'un antiquaire. A gauche, un portrait officiel de Jacques Chirac, chipé dans une mairie. Au centre, et à droite, une affiche et un buste de Charles de Gaulle "négociés ivre mort à 9 heures du matin."

Une vieille dame: 

"J'ai voté pour lui, c'est beau que les jeunes continuent de l'admirer"

Matteo a lui déjà payé les frais de son admiration pour De Gaulle: “Quand je suis arrivé en première année à la fac, l’accueil a été glacial. J’ai eu de tout : dans le meilleur des cas, c’était des moqueries, dans le pire, c’était des débats très houleux.” Mais Matteo a trouvé la parade : La semaine dernière, le jeune homme a créé une page Facebook  “Les jeunes avec De Gaulle", moitié fun, moitié sérieuse: "Les gens trouvent ça drôle et en même temps ça me permet de délivrer des messages."


 

Pour  continuer la lecture en musique

" Une pinte, une clope, ... Ça, c'était Jacques Chirac "

 


S’afficher avec le visage de François Mitterrand sur le torse est aussi beaucoup moins répandu. Mais il reste de lui un homme charismatique, sachant manier le verbe, et représentant bien la France. Selon Joseph Daniel, François Mitterrand est en effet une personnalité ambiguë: “C’était un homme qui avait des convictions de gauche mais une attitude de droite, dans le sens où il était attaché à l'autorité et aux institutions. Il a fini par avoir un côté très romanesque avec la mise en spectacle de sa vie, sa filles cachée, sa maladie... les gens se sont mis à avoir


 

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une certaine compassion.

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De De Gaulle à Chirac: ces jeunes qui leur vouent un culte

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Le 29 novembre 2014, Emmanuelle a fêté les 82 ans de Jacques Chirac en postant une photo sur son compte Instagram.

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Chez Stéphanie, Valéry Giscard d'Estaing côtoie Taylor Swift.